Le 21 mai 2019, au lendemain de la célébration de la fête de l’unité nationale au Cameroun, la tête d’un enseignant décapité par des personnes non identifiées a été déposée à Bamenda dans le Nord-ouest au lieu-dit Mobile Nkwen. Le meurtre Wountaï Vondou Olivier, enseignant d’Histoire et Géographie au lycée bilingue de Nitob, s’ajoute à une longue liste de violences commises sur les enseignants depuis le début de la crise anglophone au Cameroun, en fin 2016.
Le système éducatif en cause
L’une des causes de ce qui allait devenir une guerre de sécession au Cameroun, c’est justement la mauvaise organisation du système éducatif camerounais. Subdivisé en deux sous-systèmes ayant chacun sa particularité, le système éducatif camerounais a perdu ses lettres de noblesse au fil du temps. Dans les régions anglophones, on se plaint de la « francophonisation » du sous-système anglophone.
En effet, tout part d’un dysfonctionnement au niveau de la répartition du personnel enseignant : de plus en plus d’enseignants formés pour enseigner dans le sous-système francophone sont affectés dans des établissements purement anglophones, et vice versa. À cause de la pénurie de personnel (on estime à environ 50.000 le déficit d’enseignants), les proviseurs s’accommodent de ces enseignants et leurs attribuent des matières dans lesquelles ils ne sont pas compétents.
Ce sont les conséquences de cette gestion anarchique des ressources humaines sur le niveau scolaire des apprenants qui ont conduit les enseignants des régions anglophones à se mettre en grève en fin novembre 2016.
Violences sur les enseignants
Le mouvement de grève lancé prenant de l’ampleur notamment du fait des négociations infructueuses entre les syndicats et le gouvernement, les premières attaques sont enregistrées sur les élèves qui s’obstinent à aller à l’école malgré le mot d’ordre de grève illimitée. Bientôt, des écoles sont incendiées, des élèves et enseignants intimidés et parfois molestés.
Entre mai 2017 et février 2019, on dénombre plus d’une cinquantaine d’établissements scolaires incendiés (selon des chiffres avancés par Amnesty International en juin 2018), parmi lesquels le collège Sacred heart de Bamenda, l’école bilingue de Jakiri, l’école publique d’Atwakum, le lycée de Wum, le lycée de Nitob, le lycée bilingue de Ndop, l’école publique de Ndah à Fongo Ndeng et le lycée bilingue de Zavion tous deux situés dans la région de l’Ouest.
Dans la foulée, des enseignants sont molestés, enlevés et parfois tués. En avril 2018, M. Ashu Thomas Kongho, surveillant général au lycée bilingue de Kosala est tué d’une balle par des personnes venues empêcher que les cours se déroulent normalement dans son établissement. Un mois plus tard, Mme Enanga Georgina, proviseur du lycée bilingue de Buea, est enlevée par des individus armés non identifiés. Le 12 juillet 2018, Tebit Evans Chick, un autre enseignant, est tué ainsi que 7 membres de sa famille, cette fois-ci à Batibo, dans le Nord-ouest.
En octobre 2018, le Pr. Paul Mbufong, directeur des affaires administratives à l’Université de Bamenda est tué à Bambui dans le Nord-ouest, au cours d’un échange de tirs entre sécessionistes et militaires. D’autres cas répertoriés de meurtres sur des enseignants impliquent les assassinats de M. Ejole Patrick, directeur de l’école publique d’Etam dans l’arrondissement de Tombel au Sud-ouest, dont le corps a été retrouvé dans un buisson alors qu’il se rendait à une réunion et de Mme Sophie Mandengue Maloba, mortellement blessée lors d’une attaque dirigée contre son école à Muyuka.
Le personnel enseignant sous pression, mais sans protection
Les attaques récurrentes dirigées vers le personnel et les établissements scolaires démontrent simplement que le gouvernement ne prend pour ainsi dire aucune mesure pour protéger les écoles, les élèves et les enseignants. Ce qui est curieux, quand on sait que, à l’origine c’est le système éducatif lui-même qui était visé autant dans les revendications des syndicats que par les violences des groupes de délinquants qui sont par la suite devenus des groupes armés.
En effet, à partir de l’année scolaire 2016-2017, les cours ont été fortement perturbés dans la zone anglophone. Les établissements scolaires sont vides, enseignants et élèves préférant éviter de braver les interdictions et mots d’ordre lancés par les grévistes et maintenus par des groupes d’individus par le biais de menaces diverses. Des élèves molestés, des enseignants menacés, des véhicules incendiés finissent de convaincre même les plus téméraires. Même les examens officiels sont perturbés.
Mais aucune mesure de protection concrète n’est prise, ni aucune mesure conservatoire. Au contraire, des menaces de sanction pèsent sur les agents de l’État qui, pour des raisons de sécurité, auraient abandonné leurs postes. En septembre 2018, un communiqué signé par Nche Gilbert Ngong, délégué régional des transports pour le Nord-Ouest, annonce que désormais « tout voyageur qui quitte la région du nord-ouest est tenu de communiquer aux autorités, les raisons du déplacement, le nom de la personne chez qui il se rend », sous peine de voir son voyage annulé.
Plus tard, la ministre des enseignements secondaires, Mme Nalova Lyonga Pauline, met sur pied des conseils de discipline régionaux dotés chacun d’un budget de 10 millions de francs, dont la mission est de sanctionner les enseignants absentéistes et ainsi réduire les cas d’abandon de poste.
Assurer la protection des enseignants
L’État du Cameroun a le devoir de s’assurer que les enseignants exercent leur métier dans des conditions acceptables de sécurité. Ne pas le faire c’est enfreindre l’article 37 alinéa 2 de la loi d’orientation de l’éducation au Cameroun qui stipule que « L’État assure la protection de l’enseignant et garantit sa dignité dans l’exercice de ses fonctions ».

Assurer la protection de l’enseignant ce n’est pas faire peser sur lui des menaces de sanctions, encore moins mettre en place un conseil de discipline pour sanctionner ceux qui décident d’assurer eux-mêmes leur protection en s’éloignant des zones dangereuses.
Vu la situation sécuritaire dans les régions anglophones, il est plus que urgent que le ministère des enseignements secondaires se décide à redéployer ceux des agents qui sont encore en service dans les zones à risque
Photo : UNICEF/Hakim George
plutot un metier a risque maintenant
En effet un métier à risque depuis peu. Mais surtout, avec des enseignants qui ne sont pas formés pour travailler dans les conditions auxquelles ils font face, d’où l’urgence de prendre des mesures adéquates pour que ces derniers soient protégés, conformément aux textes en vigueur.
Bel article.beaucoup de détails , on sent un enseignant..j’aime l’expression selon des chiffres avancés par Amnesty …lol.Good Job
Merci.
Il est important quand on avance une statistique d’en indiquer la source et la période à laquelle les chiffres ont été fournis, d’où notre précision 🙂
Tres bel article fouillé.
Vivement que cette crise cesse.
Les solutions sont connues, mais l’application 😔😔😔
Merci pour cette ouverture 😢
Sanctionner les enseignants parce qu’ils cherchent a proteger leur vie c’est le monde à l’envers. En plus ça ne règle pas le problème de protection.
Bonne plume.
C’est d’autant plus absurde que c’est suite à l’incapacité de l’État à jouer ce rôle qui est le sien que les enseignants se retrouvent obligés de se protéger eux-mêmes
Triste réalité qui dure depuis bien trop longtemps..