En mi-septembre 2019, un enseignant en service au lycée d’Avebe-Esse dans la région du Sud, a été placé en garde à vue à cause d’une leçon qu’il a enseignée à ses élèves de la classe de première. Accusé d’insurrection et appel à la rébellion en milieu scolaire, l’enseignant a été arrêté après avoir abordé en classe un sujet relevant de l’actualité sociopolitique du Cameroun. Depuis lors, autant dans les foras que dans les salles des professeurs, la plupart des enseignants se posent des questions sur le choix des sujets à aborder en classe ou non, ainsi que sur la manière de les aborder.
« La politique aux politiciens… »
Pour beaucoup d’enseignants, il n’est pas question de parler de politique avec les élèves du fait du caractère apolitique des établissements scolaires. En effet, la loi n°98/004 du 04 avril 1998 d’orientation de l’éducation au Cameroun précise en son article 8 que « l’enseignement est apolitique ». Mais à ce niveau, il serait judicieux de revenir sur la définition même de ce terme.
Selon le dictionnaire en ligne Wiktionnaire, apolitique signifie « indifférent à la politique, qui se situe en dehors de la politique ». Si cette définition peut encore prêter à confusion, l’antonyme du mot, lui, permet d’avoir une idée plus claire. Comme antonyme le dictionnaire propose l’adjectif partisan. C’est dire que celui qui est apolitique n’est pas partisan.
Il résulte donc de ce qui précède que dire que l’école est apolitique ne revient pas à interdire que des sujets liés à la politique y soient abordés. Plutôt, cela revient à lui conférer une certaine neutralité dans le traitement des sujets politiques.
Respect des libertés
La loi d’orientation de l’éducation au Cameroun entre en droite ligne de l’analyse faite plus haut. En effet, dans son article 38, il est clairement indiqué que « l’enseignant jouit, dans le cadre des franchises académiques et dans l’exercice de ses fonctions, d’une entière liberté de pensée et d’expression, dans le strict respect de la liberté de conscience et d’opinion des élèves ».
Autrement, il n’est pas interdit à l’enseignant de s’exprimer sur certains sujets, ni de donner librement son opinion sur l’actualité nationale ou internationale du moment qu’il le fait dans la neutralité qui caractérise l’environnement dans lequel il se trouve.
Ce qui serait inapproprié, par contre, serait de faire de l’établissement ou de la salle de classe un lieu de propagande ou d’endoctrinement politique. Et sur ce point, l’article 38 est clair : autant la liberté d’expression des enseignants doit respectée, autant la liberté de conscience et d’opinion des apprenants doit être respecté. C’est sans doute la nuance qu’il faut faire concernant ce point.
Éducation et politique
Il est impossible, a notre sens, de dissocier l’éducation et la politique. Le simple fait qu’il y ait dans le curriculum des matières telles que l’éducation à la citoyenneté et à la morale (ECM) démontré à suffir qu’on ne saurait se passer de la politique. De plus, des sujets étroitement liés à la politique ont toujours été abordés dans les programmes, quelle que soit la matière.
Avec l’implémentation de la nouvelle approche pédagogique baptisée APC-ESV — approche par les compétences avec entrée par les situations de vie — et qui recommande que l’enseignement s’appuie sur les réalités que vivent les apprenants au quotidien (les situations de vie), il devient pratiquement impossible d’éviter les sujets liés à la politique. D’ailleurs, parmi les modules à enseigner, il y en a un qui porte précisément sur la citoyenneté et les droits de l’homme.
Est-il possible d’aborder ce module sans évoquer les sujets liés à la vie politique de notre pays ? Cela semble utopique, surtout si on prend en compte les exigences de l’APC-ESV. Au-delà de toutes ces considérations, est-il dangereux de parler de politique à ses élèves ?
Dangereuse ignorance
Quand on observe la majorité des Camerounais au quotidien, on se rend bien compte que, pour la plupart, ils ont un rapport particulier avec la politique. En général, on évite tout ce qui s’y rapproche de près ou de loin. En conséquence, le citoyen s’intéresse très peu à tout ce qui se rapporte à la gestion du pays. Même le contenu de la constitution ou du code pénal, ne sont pas connus de tous.
C’est cette ignorance, et ce désintérêt qui, dans une certaine mesure, plombent même l’action gouvernementale, car comment la gouvernance peut-elle être participative si le citoyen ne s’implique pas ? Comment le citoyen peut-il contrôler l’action gouvernementale s’il ne s’intéresse pas aux programmes, aux budgets alloués et à la façon dont l’argent est dépensé ? Comment le citoyen peut-il participer à la prise de décision s’il ne participe pas aux élections ?
Aucun domaine de la vie d’un pays n’échappe à la politique. Que ce soit la santé, le sport, l’éducation ou la culture, chacun de ces domaines a un aspect politique. En conséquence (et pour revenir à l’éducation), les sujets liés à politique devraient plutôt être encouragés dans les salles de classe où pour la plupart les enfants passent l’essentiel de leurs journées. Peut-être ainsi on parviendra à former des citoyens qui en plus de l’éducation, soient éduqués politiquement.
Merci pour cette article!! Comment échapper à la politique si nous vivons dans un état? L’APC ne vient arranger la situation, j’enseigne l’anglais et j’ai eu à préparer un cours qui parlait de conflit, et résolution de conflits. Les élèves eux-mêmes ont proposé des réponses.